Christian Dior n'était pas destiné à devenir le grand couturier qu'il a été. En effet, si ses parents - des industriels normands - laissèrent libre cours au tempérament rêveur de leur cadet, ce n'est pas pour autant qu'ils lui auraient permis, une fois adulte, d'embrasser la carrière d'architecte qu'il aurait souhaité.
Afin de satisfaire ses parents, Christian Dior intègre donc Sciences Po à l'âge de 18 ans. Cependant, ses fréquentations parisiennes fleurent bon la Bohême, et l'éloignent rapidement des études. En 1928, il décide avec son ami Jacques Bonjean d'ouvrir une galerie d'art. Cependant, les difficultés financières qu'il rencontre le pousseront à abandonner la galerie et à utiliser son joli coup de crayon pour subvenir à ses besoins.
C'est ainsi qu'il se verra démarcher des couturiers tels que Balenciaga et Nina Ricci, afin de leur proposer ses croquis. Il conçoit également des costumes pour la scène et finit par être remarqué - en 1938 - par Robert Piguet, un couturier prestigieux de l'époque. Celui-ci l'engage comme modéliste et ne tarde pas à s'apercevoir du potentiel de sa jeune recrue. Peu de temps après son arrivée, il lui confie même la direction de trois collections. Certaines pièces - telles que le tailleur pied-de-poule - sont un véritable succès et font connaître petit à petit le nom de Dior.
1939 sonne le glas de sa carrière de modéliste chez Piguet et emmène Christian Dior sous les drapeaux. Vite démobilisé, il entre ensuite chez Lucien Lelong et commence à signer "Dior pour Lelong". En dépit de la guerre, les couturiers résistent et se font un devoir de continuer à rendre les Parisiennes élégantes, contrairement à leurs voisins anglais qui imposent un dress code minimaliste et utilitaire. En 1945, une exposition nommée "Le petit théâtre de la mode" demande aux plus grands couturiers du moment d'habiller 200 figurines, avec parmi eux "Dior pour Lelong"…
La guerre étant terminée, une certaine euphorie emprunte de projets grandioses s'empare du microcosme parisien. Balmain monte sa maison de couture et Christian Dior se voit proposer la même opportunité par Marcel Boussac, industriel textile, qui lui offre de le financer. En 1946, la maison Dior voit le jour au 30 avenue Montaigne.
Christian Dior présente sa première collection en 1947. Alors que les esprits sont à peine remis des privations de la guerre et des tickets de restriction, Dior décide de remettre au goût du jour une silhouette taille de guêpe aux jupons opulents. Carmel Snow, rédactrice en chef du Harper's Bazaar, séduite par la ligne Corolle, nommera l'ensemble "New Look".
Les silhouettes proposées par Dior n'ont en effet rien à voir avec l'uniforme de la Parisienne d'après-guerre, aux jupes courtes et à la poitrine plate. Il met en valeur les courbes, dessine une taille étranglée et utilise plus de 40 mètres de tissus pour une seule jupe. Entre scandales et envies, ses collections s'arrachent et marquent à nouveau les différences de classes qui s'étaient estompées avec "l'effort de guerre" ; il y a celles qui peuvent s'offrir du vrai Dior, et les autres… Cette ligne Corolle fut un vrai coup de génie : toutes désiraient porter ce nouveau volume, symbole d'opulence et de liberté.
En 1946, l'industrie textile n'étant pas encore relancée, on peut s'interroger sur la provenance de la soie qui fut nécessaire aux collections Dior… C'est en fait grâce à Boussac, le mécène de Christian Dior, que ce prodige put avoir lieu : il possédait en effet dans ses entrepôts un immense stock de toiles de parachutes non utilisés, qui fit le bonheur de son protégé et lui permit de marquer les esprits. Le new-look était né, et Carmel Snow se chargera de propulser Dior sur le devant de la scène internationale. Il emmènera avec lui toute la couture française, qui reprendra peu à peu son statut de leader.
En 1947, Christian Dior bouleverse donc les codes et rompt avec la rigueur imposée par les temps de conflits. Dans son atelier, c'est le jeune Pierre Cardin qui taille les pièces qui habilleront les nouvelles élégantes qui ne jurent plus que par Dior. En un défilé, il remet en odeur de sainteté les tailles corsetées qu'une certaine Coco Chanel s'était efforcée de gommer. La presse se fait le relais de cette nouvelle mode, et les toilettes Dior sont immortalisées par les plus grands photographes (Richard Avedon, Irving Penn…).
Peu à peu, Christian Dior se constitue un véritable empire ; il est d'ailleurs le premier - dans les années 50 - à mettre en place le système de licences. Il permet ainsi à des fabricants d'accessoires de griffer leurs produits de son nom, ces derniers lui reversant des royalties. Il développe également plusieurs parfums.
Ses collections surprennent toujours : en 10 ans Christian Dior n'aura de cesse de réinventer ses silhouettes. La ligne Corolle cède ainsi la place à la ligne H, tout en longueur, qui contrairement à la collection précédente choisit de gommer les formes. Puis ce sera au tour de la ligne A (en hommage à Eiffel) de séduire les clientes Dior, tandis que la ligne Y leur dessinera une carrure profilée sur un corps filiforme.
Le travail de Christian Dior possède la justesse du sur-mesure. Il ne travaille pas à plat, mais moule - tel un sculpteur - directement ses robes sur les mannequins. Il privilégie la matière, refuse de trop couper le tissu, se passe au maximum des pinces et découpes en formant ses volumes au fer chaud… Entre pureté des formes et esthétique sophistiquée, le New Look s'inscrit dans l'air du temps.
Le jeune Yves Saint-Laurent, qui oeuvre aux côtés du maître depuis 1955, a bien assimilé ses codes, et c'est ainsi à lui que l'on confiera les rennes de la maison lors du décès prématuré de Christian Dior en 1957. Sa première collection est accueillie avec enthousiasme, les clientes restent en dépit de la disparition de Mr Dior : l'empire vit, le style Dior demeure…
Cependant, en 1960, Yves Saint-Laurent décide de voler de ses propres ailes. Marc Bohan, qui gérait jusqu'alors la direction artistique des maisons de New York et Londres, reprend celle de Paris. Bohan s'efforcera de conserver tous les codes chers à Dior, l'élégance restant le maître mot des collections. En 1989, Gianfranco Ferré prend la relève. Fervent admirateur de Christian Dior, il fait perdurer l'esprit du couturier en poursuivant sa quête des lignes justes et géométriquement parfaites.
Les années 90 apportent à la maison Dior les clefs de l'immortalité. Elle passe en effet dans les mains de Bernard Arnault, et subit une cure de jouvence luxueuse, le PDG étant bien décidé à dépoussiérer l'image de Dior. S'inspirant - ou pas - de Christian Dior, qui jugeait que la polémique était la meilleure des publicités, Arnault place en 1996 à la direction artistique de la maison un fantasque corsaire très british : John Galliano.
Celui-ci transforme les défilés en véritables shows, choque, détonne dans le monde policé de la haute couture et finalement séduit. Son génie n'a d'égal que sa perspicacité marketing : les accessoires deviennent partie intégrante de ses shows et boostent comme jamais les ventes, tandis qu'il choisit ses égéries parmi le gotha des it girl de la planète. Toute la sphère mode l'adore, les tops modèles reprennent du service rien que pour lui faire plaisir, il habille les plus belles actrices… Tout cela sans jamais renier l'héritage de Christian Dior, à qui il voue un véritable culte.
La maison Dior est désormais forte de sa diversité créative : Victoire de Castellane à la joaillerie excelle dans l'art de la fantaisie luxueuse et ludique, Hedi Slimane a complètement revisité l'univers masculin de la maison et c'est maintenant au tour de Kris Van Assche d'oeuvrer chez Dior Homme…
Dior parvient à allier démesure, rêve et passion, le tout dans un joli packaging au marketing bien ficelé qui à coup de défilés grandioses, de campagnes de publicité féeriques et de produits innovants ne cesse de séduire. Fort bien gérés, les fastes de la Haute Couture servent la diffusion du prêt-à-porter : les équilibres financiers étant respectés, le spectacle peut continuer…
Par Lise Huret, le 29 novembre 2007
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