Dis-moi quel sac tu portes, je te dirai qui tu es...
Conceptuels, régressifs ou néo-élégants, certains sacs de l'automne/hiver 2016-2017 m'ont donné envie d'essayer d'imaginer les contours de celles à qui leurs créateurs les destinent...
Sac "Pills" Moschino
De l'acuponcture aux cours intensifs de TRX, en passant par la pose de ventouses, les services du coach british Russell Bateman et autres joyeusetés onéreuses (et pas forcément efficaces), elle a tout essayé pour se sentir mieux dans son corps et dans sa vie. Elle a même tenté de faire congeler une partie de sa masse adipeuse afin de se débarrasser des complexes qu'elle pensait être à l'origine de sa morosité chronique. Mais rien n'y fait : sans sa dose de Prozac quotidienne, impossible pour elle d'activer ses zygomatiques, de faire fonctionner le Vitamix, de ne pas aller hiberner sous les doudous de son fils une fois ce dernier déposé à l'école ou de chausser ses talons de 12 pour aller rendre à son rédacteur en chef son papier sur le dernier film de Natalie Portman. Sous les regards désapprobateurs - et un brin condescendants - de son entourage, elle s'est donc résignée à gober studieusement ses petites pilules afin de réussir à surnager. Autant dire que lorsque Jeremy Scott décide de dédramatiser le sujet en imaginant une mini ligne de sacs dédiée aux médicaments anti-névrose, difficile pour elle de résister. Depuis, elle assume avec le sourire son sac "Pills" et a vidé la cagnotte "voyage" de la famille pour s'acheter l'ensemble de la collection capsule dédiée aux molécules chimiques du bonheur (voir ici, ici, ici et là). Il ne s'agirait pas de tomber en rupture de stock…
Sac Pierce J.W.Anderson
Elle qui ne s'habille d'ordinaire qu'en étroit tailleur carbone se surprit récemment à tomber sous le charme brutal et paradoxalement délicat des septums Givenchy. Une vingtaine de séances avec son psychanalyste plus tard, elle comprit l'origine de cette subite obsession : ces piercings couture symbolisent à ses yeux tout ce qu'elle s'est toujours interdit, à savoir audace, risque de déplaire, émancipation… Depuis, elle fantasme sur la dimension rebelle de ce bijou, sans jamais réussir à passer à l'acte. Elle aimerait pourtant avoir le courage de se l'offrir, ne serait-ce que pour faire sursauter ses collègues traders en costume 3 pièces un brin machiste, sa belle-mère qui ne la trouve jamais assez chic, ses copines qui ne jurent que par leur speedy Louis Vuitton, son mari qui lui reproche son manque d'enthousiasme en matière de jeux érotiques, sa fille de 6 ans qui la considère comme une mère rétrograde (car anti iPad/iPhone) et son coiffeur qui - elle en est persuadée - la trouve terriblement ennuyeuse avec son éternel carré frangé blond cendré. Dans ce contexte, le sac Pierce de J.W.Anderson lui apparaît comme un moyen inespéré de contourner sa bélonéphobie, tout en célébrant ses envies de dissidence...
Sac Rope Jungle Acne
À 35 ans, traumatisée par l'élection de Donald Trump et soudainement mise à l'abri du besoin grâce à l'héritage fortuit d'une lointaine parente, cette pigiste d'un grand magazine féminin estime qu'il est temps pour elle d'essayer de changer le monde. Elle décide pour ce faire d'entamer les démarches pour intégrer dès que possible le master "affaires internationales et développement" à l'université Paris-Dauphine. Oui mais voilà, après plus de 10 ans passés à rédiger des papiers de 2000 signes sur les tendances du moment, la belle est obnubilée par le choix du sac qui accompagnera ses premiers pas d'étudiante. Elle le voudrait dans l'air du temps, suffisamment pointu pour évoquer son background, mais aussi espiègle (histoire de lui remonter le moral pendant ses cours de Stratégie financière internationale de l'entreprise). Avec sa dégaine nineties et son format sac à dos, le Rope Jungle d'Acne semble avoir été pensé pour elle. Cela tombe bien : elle connaît très bien l'attachée de presse de la marque…
Sac Punk Elephant Loewe
Enfant, elle collectionnait secrètement les points se trouvant sur les boîtes de thé Lipton, nourrissant l'espoir secret qu'un jour ces derniers se transformeraient spontanément en théière éléphanteau. Ce ne fut malheureusement pas le cas, et de cette désillusion naquit une obsession pour la famille des Elephantidae. En CE1, alors que ses amies ne juraient que par les trousses Hello Kitty, elle ne tolérait ainsi que des accessoires scolaires estampillés "Babar", tandis qu'à Pâques elle suppliait ses parents pour que les oeufs en chocolat soient remplacés par des bouchées Côte d'Or dont elle affectionnait le logo… Contre toute attente, elle n'est pas devenue Vétérinaire sans frontières, mais bel et bien dessinatrice chez Disney où, lorsqu'elle ne travaille pas sur les planches de Dory 2, elle imagine un Toy Story 4 peuplé d'adorables éléphants roses. Dans ce contexte, le "it" bag Punk Elephant de chez Loewe - qu'elle découvrit au sein du Vogue US oublié par son collègue de bureau - lui apparaît comme une belle opportunité de consoler la fillette privée de théière animalière, tout en gâtant la jeune dumbophile qu'elle été restée (en dépit d'avoir dépassé la trentaine)...
Sac Ghost Anya Hindmarch
Avec son minois jovial, ses mini rondeurs sponsorisées par Häagen-Dazs et son célibat non désiré, cette attachée de presse junior aime à se comparer à l'antihéroïne Bridget Jones. Subissant régulièrement les actes vexatoires d'une boss aimant à faire converger toutes les invitations intéressantes vers sa collègue taille mannequin et étant systématiquement de corvée "calligraphie" (étant la seule à avoir conservé - à l'ère des claviers - une écriture correcte, c'est à elle que l'on confie la rédaction des centaines de cartons d'invitation envoyés chaque semaine par le bureau), une fois le soir venu elle n'a plus qu'une envie : noyer sa frustration dans les saveurs sucrées et réconfortantes d'une poignée de chamallows. Des petits nuages moelleux qu'elle mâchouille distraitement en mettant à jour son compte Tinder, avant de se maudire devant sa glace d'avoir cédé à la tentation. Autant dire que lorsqu'un matin, elle vit revenir - un brin mal en point - d'un shooting photo l'adorable sac Ghost d'Andy Hindmarch, elle vit tout de suite en lui la solution à ses problèmes existentiels. Il faut dire que celui-ci se révèle aussi réconfortant qu'un chamallow (les calories en moins), bien plus mignon que les hommes rencontrés sur Tinder et infiniment plus fun que les rédactrices de mode stressées qu'elle doit gérer au téléphone… PS : Les personnages et les situations de ce texte étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Par Lise Huret, le 23 novembre 2016
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