Masstige anachronique
Hier se lançait la nouvelle collaboration masstige H&M. Défilé à Rome, dîner en grande pompe : comme à son habitude, l'enseigne suédoise a bien fait les choses. Pas au point néanmoins de réussir à masquer l'obsolescence frappante de son concept phare...
Entre show prenant place dans un cadre majestueux (la Galerie Doria-Pamphilj), front row instagrammable, casting mêlant "it" girl bankable et mannequins castés dans les rues de la ville, invitées spirituelles (vénérant le vintage mais ne refusant pas de s'encanailler ponctuellement au sein de l'univers de la fast fashion) et toilettes hautes en couleur rappelant celles aperçues sur les podiums parisiens, le marketing auréolant la collection imaginée par Giambattista Valli pour H&M a sur le papier tout pour séduire la critique. Oui mais voilà, depuis le coup d'éclat "H&M x Karl Lagerfeld" (2004), le temps a passé, la mode s'est emballée et les attentes du consommateur ont sensiblement évoluées. Aujourd'hui, qui a encore envie qu'on lui parle "it" girls, robes à froufrous singeant la haute couture, vêtements clinquants à la saveur tellement sucrée qu'ils mènent instantanément à l'écoeurement (voir ), événements mondains où l'entre soi sature les publications Instagram des invités et pièces venant de Chine par porte-conteneurs ?
On a d'ailleurs du mal à comprendre comment un acteur du secteur aussi important qu'H&M peut ainsi s'engluer dans ses vieilles recettes alors qu'au sein du fashion system les lignes commencent à bouger.
J'en veux pour preuve l'évolution récente de Stefano Pilati (ex-DA des griffes Saint Laurent et Ermenegildo Zegna) : lassé des défilés grandioses faisant rêver une jeune génération incapable de s'offrir les produits présentés, le créateur tente désormais de penser la mode autrement. Via sa nouvelle griffe "Random Identities", Pilati essaie en effet de trouver le juste équilibre entre qualité, intemporalité, pérennité, confort, accessibilité et identité créative (voir ici et là). Dans les faits, cela donne naissance à des vêtements empreints de la personnalité du créateur et affichant des prix évoquant ceux d'un Sandro ou d'un Isabel Marant Etoile.
Autrement dit, là où certains s'obstinent à décliner les tendances jusqu'à l'overdose, à pratiquer des tarifs totalement décorrélés de la valeur réelle du produit et à proposer des vêtements se périmant plus rapidement qu'une tranche de pain de mie, Pilati emprunte un chemin de traverse où le sens prône sur le profit immédiat.
Et qu'importe si l'on aime ou pas ce qu'il propose : l'essentiel ici est de voir un créateur habitué à oeuvrer pour des grandes maisons mettre son savoir-faire à la portée de celles et ceux n'ayant jamais pu s'offrir une pièce issue de sa période Saint Laurent. Et ce non pas de manière bankable, alléchante et périssable via une énième collaboration flattant l'ego, mais plutôt de façon studieuse et authentique en cherchant à remettre le vêtement au centre de l'attention...
Comptez 270 euros pour un trench et 210 euros pour un pantalon.
Par Lise Huret, le 08 novembre 2019
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