Chronique #139 : Envers du décor et désillusion
Après 14 ans passés en périphérie du milieu de la mode, je continue de m'interroger : faut-il chercher à connaître l'envers du décor ? Faut-il tenter de traverser cet écran de fumée habilement créé pour nous faire fantasmer ? Faut-il frayer avec les artisans de cette illusion ?
Depuis les débuts de Tendances de Mode, j'ai eu l'occasion d'expérimenter différents cas de figure : Aimer une marque, rencontrer son créateur et lier des liens d'amitié avec lui.
Être proche d'une personne au début de sa carrière. Connaître ses travers, son ambition, ses défauts. La voir développer son business et rafler la mise.
Apprécier sans la connaître une personne "publique", être en contact avec quelques-uns de ses amis proches et découvrir une facette insoupçonnée dudit personnage.
Être fascinée par la magie que dégage une griffe reboostée par un nouveau DA. Être en lien avec une RP ayant quitté le navire et découvrir le dessous des cartes.
Recueillir de manière informelle les propos désabusés d'une rédactrice en chef d'un grand magazine papier.
Or, force est de constater que chaque plongée dans l'intimité d'une marque ou d'une personne devenue "successful" me laissa un goût amer. Il faut dire que le fossé entre le discours marketing et les rouages d'un business (ou entre une personne privée et son image publique) est souvent si grand qu'il en devient vite crispant - voire déroutant - pour l'observateur/insider.
Face à cette constante ambivalence, mon attitude évolua graduellement. Dans un premier temps, je refusai de reconnaître ce que je commençais à percevoir. Les exemples de double discours et autres hypocrisies autorisées étaient cependant tellement nombreux que je dû rapidement me faire une raison : non, je ne rêvais pas. À l'incrédulité succéda dès lors une terrible envie de mettre en lumière ces incohérences, ces flous astucieusement artistiques, ces jeux de passe-passe, ces informations subtilement passées sous silence, ces petits arrangements entre initiés, ces petites phrases pouvant à elles seules ruiner une image idyllique. Mais qui étais-je pour faire cela ? Mes élans de justicière se muèrent alors en clins d'oeil ironiques disséminés çà et là au sein de mes articles…
Quelques années plus tard, j'ai fini par apprendre à vivre avec cette dichotomie : chacun a le droit de raconter l'histoire qu'il veut... et chacun est libre d'y croire ou non. Nul besoin en outre de s'indigner devant l'avalanche de commentaires dithyrambiques saluant tel ou tel partenariat abscons entre une marque surfant sur le féminisme ambiant et une influenceuse aux convictions à géométrie variable, ni de crier au délit d'initié face au trafic de cadeaux presse/parutions : cela ne changera rien au cours du monde, ni à celui de la fashion sphère.
Alors faut-il ou non chercher à connaître l'envers du décor ? En ce qui me concerne, rester dans l'illusion aurait certainement été plus confortable ; il m'arrive d'ailleurs de regretter le temps où, jeune étudiante, je n'avais aucune conscience de ce qui se passait derrière les portes des grandes maisons, des magazines, des success-stories. Difficile cependant de revenir en arrière une fois que l'on a regardé derrière le miroir...
Par Lise Huret, le 23 décembre 2019
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Il faudrait qu'un.e journaliste s'y colle, à mon avis y a du taf ;-)