Instagram ou le royaume des gimmicks #2
Il en va des modes sur Instagram comme des goûts alimentaires des enfants : elles viennent, s'installent pendant un temps, puis disparaissent. Passage en revue de celles ayant impacté ces derniers mois la communication des influenceuses en vogue...
La photo d'enfance
Si Instagram a ringardisé l'album photo papier, les influenceuses ne l'utilisent pas moins comme tel en publiant régulièrement sur leur compte des clichés de leur enfance. Il faut dire que les photos immortalisant des instants où leur notoriété ne s'étendait pas au delà de leur classe de 5ème, où leurs Kickers étaient leur bien le plus précieux et où leurs petites imperfections (capillaires, dentaires…) étaient encore tolérées possèdent une fraîcheur précieuse dont elles auraient tort de ne pas saupoudrer leur image.
À la vue d'une Chiara Ferragni miniature à la frange Poil de carotte, d'une Kim Kardashian adolescente à la dégaine relativement innocente, d'une Garance Doré en micro ciré jaune, d'une Rocky Barnes en culotte courte rose et d'une minuscule Kylie Jenner aux joues rebondies, on se prend en effet à pardonner à leur version adulte leur égocentrisme caricatural.
À la fois moins chronophage qu'un engagement auprès de l'Unicef visant à humaniser leur personnage et moins fastidieux que la rédaction d'un livre confession du type "Inside, i am like you", la photo issue d'un lointain passé n'a au final pas son pareil pour augmenter le capital sympathie des influenceuses. Et celles-ci l'ont bien compris...
Les poses signatures
À l'instar d'un Demna Gvasalia ou d'un Alessandro Michele glorifiant les associations disgracieuses, les faciès étranges et les volumes risqués, les influenceuses ayant un brin d'autodérision ont compris que le premier degré glamour ne leur permettrait pas de faire la différence au sein de la déferlante de pommettes bombées, d'abdos liftés et de grains de peau photoshopés saturant actuellement les comptes Instagram. Aux poses léchées de leurs consoeurs, elles ont ainsi choisi d'opposer une gestuelle figée proche du burlesque ayant pour but tacite de célébrer leur incandescente unicité.
On pense tout particulièrement à Sophie Fontanel qui a fait de ses danses immobiles (voir ici, ici, ici et là) un paravent à la timidité, aux complexes et à la solitude (mais aussi et surtout une arme de communication redoutable à une époque où l'image de la femme est en pleine mutation) ou encore à Leandra Medine qui, en adoptant comme pose officielle le "posage de pied sur un support type commode/lavabo" (voir ici, ici, ici et là) a trouvé le moyen d'assumer le diamètre lilliputien de ses cuisses, de mettre en valeur sur la même photo souliers/sac/bijoux et de consolider son statut d'espiègle "Man Repeller"...
Et s'il serait naïf de voir dans la démarche de ces dernières une authenticité sans fard, elles ont néanmoins le mérite de ne pas faire les choses à moitié…
Le naturel flatteur
Prise au réveil (c'est en tout cas ce que l'on est sensé croire), à la fin d'une éreintante séance de sport ou lors d'une promenade en famille, la photo "naturelle" d'une influenceuse ne nous montrera jamais une marque d'oreille zébrant une joue fatiguée, des jambes ayant renoncé à l'usage mensuel de la cire chaude, un visage exagérément rougi par l'effort ou encore un front rougeoyant sous l'effet d'un cuisant coup de soleil. Celles ayant fait de leur compte Instagram un aquarium pour ego démesuré excellent en effet dans l'art de nous donner l'impression - sous couvert de partage, de bienveillance et de sororité - que leur réalité est plus belle que la nôtre. La recette "texte ou mots fleurant bon l'authenticité marketée + minois vierge de maquillage (mais lumineux) + corps svelte" figure ainsi en tête des "trucs et astuces" cités au sein du petit manuel de l'influenceuse cherchant à égratigner sa perfection tout en restant enviable, désirable, admirable, fascinante et inspirante…
La femme multitâches
S'il y a encore quelques années l'influenceuse modèle pouvait espérer asseoir sa notoriété en se contentant de fouler le sable blanc des Bahamas, de siroter un latte en compagnie de son sac griffé ou de poser devant les murs colorés de Miami Beach, les critères de désirabilité ont depuis quelque peu évolué. L'air du temps est en effet désormais à la "femme Shiva" capable de gérer d'une main parfaitement manucurée job/mari/enfants/cuisine/cercle social tout en prenant soin d'elle. Et qu'importe si cette démonstration de force n'est qu'une illusion de plus, si la nounou reprend vite les enfants après le selfie-câlin "spontané", si les séances de travail sont pensées pour être davantage photogéniques que productives, si les virées à la ferme se doivent de rimer avec look parfait ou si couper des citrons impose de se mettre sur son 31...
À l'heure où le féminisme se conjugue en hashtags (entre #HeForShe, #lesprincessesontdespoils, #lesfemmesveulent ou encore #FreeTheNipple), il est intéressant de constater que sur Instagram ce sont principalement les femmes qui entretiennent le mythe de la femme parfaite, et ainsi maintiennent la pression sur leurs homologues…
À noter également
L'enfant (voir ici, ici et là) semble être le nouveau Boo, à savoir un élément infiniment mignon et photogénique permettant de booster les likes de n'importe quel post.
La pose de directrice financière exténuée en fin de journée fait apparemment recette… (voir ici et là)
En faisant semblant de ne pas savoir qu'elles se prennent en photo, les influenceuses développent des talents insoupçonnés de comédiennes (voir ici).
Le selfie groupé (ou la pose en duo) fait apparemment partie des exercices recommandés aux instagrameuses à succès désirant dompter leur ego (voir ici, ici et là).
"Tu ne mettras pas tes chaussures sur ton lit" ne fait toujours pas partie des mantras en vogue (voir ici).
N'en déplaise à la police, au SAMU et aux pompiers, la chaussée continue de jouer les catwalks d'extérieur (voir ici et là).
La densité calorique des mets photographiés n'en finit pas d'être en contradiction avec la ligne de celles qui les publient (voir ici, ici et là).
Le comble du cool en 2020 ? Sacrifier la bonne humeur de sa progéniture sur l'autel de son amour des selfies (voir ici et là).
Par Lise Huret, le 09 mars 2020
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