Entre les clichés commerciaux exposant un escarpin dans le seul but de mettre en valeur ses reflets croco et les délires conceptuels publicitaires cannibalisant le sujet même de la campagne, il est rare de se voir confronté à des images sachant allier promotion, esthétique et innovation.
D'ailleurs, ces dernières squattant les 30 premières pages de Vogue et s'invitant régulièrement au coeur du magazine Elle, la lectrice - et consommatrice - devrait être en droit d'exiger en la matière un peu plus qu'une banale photo sur fond de plage paradisiaque.
Or, lorsque Christian Louboutin s'allie à Lippmann (qui n'hésite pas à mettre en scène les divins escarpins à semelle rouge au coeur de natures mortes du 18e siècle), la publicité devient un art à part entière qui mérite que l'on s'y attarde...
Si historiquement les natures mortes étaient à l'origine destinées à mettre en lumière la nature éphémère et vaine de la beauté, du pouvoir et des plaisirs (par la présence de fleurs fanées, de verres ébréchés, de sabliers, etc...), elles perdirent au 18e siècle leur aspect moralisateur, ne conservant que leur dimension esthétique.
C'est dans cette continuité que Peter Lippmann entreprend de mêler les créations vertigineuses de Louboutin aux délices de la vie, entre friandises, agapes de fruits et caviar Beluga. Le rendu final est saisissant, effaçant les anachronismes grâce à l'harmonie des compositions et à la nature commune des objets présentés.
En plus d'être divinement esthétique, cette campagne de publicité emmène celles et ceux qui s'y attardent sur les chemins d'un courant artistique qui, en dépit de prendre la poussière au fin fond des musées, conserve encore aujourd'hui toute sa pertinence.
Cependant, si Peter Lippmann ne cherche pas à mettre en exergue - comme aurait pu le faire un Le Caravage - le caractère nuisible des fastes de l'existence, on ne peut s'empêcher de faire le parallèle entre la futilité d'un escarpin hors de prix plongé dans un bol d'oeufs d'esturgeon et les richesses outrancières de quelques tables immortalisées par les natures mortes de l'époque. Les fastes d'hier rejoignent alors ceux d'aujourd'hui, ne perdant entre-temps rien de leur indécence...
Ceci dit, sans le luxe de la création, les objets richement ouvragés et les mets d'exception, l'Histoire manquerait cruellement d'éclat. En dépit de tout sens moral, Christian Louboutin nous semble donc finalement aussi utile que n'importe quel RSA...
Par Lise Huret, le 01 juin 2009
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