Récemment, à l'occasion des soldes, mes vieux démons sont revenus me hanter. Fallait-il une fois de plus bouder cette grande messe de la mode - en dépit de l'imminence d'une fashion week parisienne où le no look n'a pas droit de cité - ou bien m'y plonger vaillamment, en pensant aux blazers Martin Margiela soudainement devenus accessibles ? La proximité du Bon Marché et mon besoin cuisant d'une petite robe noire ont fini par venir à bout de mes réticences. Me voici donc poussant les portes du Grand Magasin, bien déterminée à rentabiliser au mieux mon temps ainsi investi...
J'aperçois alors sur ma droite un étal de pull-overs sérieusement malmenés par de nombreuses mains fébriles. Plus loin, une table recouverte de chemises bénéficiant déjà d'une surremise se trouve dans le même état. À l'horizon, ce sont des souliers masculins haut de gamme qui, sous prétexte d'être en réduction, se voient accumulés sans cérémonie sur de larges tréteaux.
Je me sens alors soudainement mal à l'aise devant la transformation brutale de cet antre du chic en un lieu où les vêtements ne sont plus considérés que comme de vulgaires marchandises. Autrefois traité avec déférence par les vendeuses, le cachemire est ici bien souvent froissé, négligé, sans que quelqu'un prenne la peine de venir le replier.
Avançant vers moi d'un pas pressé, la poussette en avant, Anna Mouglalis ne semble pas être incommodée par ce bouleversement temporaire du Bon Marché. Jeune maman, la belle est certainement à mille lieues de se laisser influencer par les ondes négatives d'un pull-over mal plié. De mon côté, je commence déjà à avoir envie de rebrousser chemin, et ce avant même d'avoir entrevu le moindre atour féminin...
Prenant mon courage à deux mains, je me décide finalement à faire fi de mes états d'âme. Je me mets alors à gravir en quelques - pesantes - foulées la vingtaine de marches menant au Saint des Saints : le prêt-à-porter féminin. Là-haut, une cohorte de femmes excitées par la présence de moult chaussures siglées se presse autour d'une longue table où sont disposés plus ou moins en vrac différents modèles.
Loin des étagères à l'éclairage avantageux et privés de tout merchandising flatteur, ces derniers font grise mine. Les bottines Marc By Marc Jacobs qui m'avaient fait de l'oeil en février dernier ont d'ailleurs perdu tout leur éclat ; du côté du corner Isabel Marant, les invendus pendouillant sur un portant lugubre finissent de m'achever.
Je réalise alors que je n'ai rien à faire là : mon attitude face aux vêtements est tellement aux antipodes de celle que je devrais normalement adopter - pour être une shoppeuse efficace - qu'à l'évidence périodes de soldes, samedis après-midi et ventes spéciales ne me sont définitivement pas destinés.
Cependant, si je ne peux clairement pas me considérer comme une addict au shopping, cela ne m'empêche pas de succomber à l'occasion à une pièce ayant fait écho en moi. Avant de l'acquérir, il me faudra encore l'apprivoiser, la revoir plusieurs fois en boutique, me mettre à la désirer ardemment, l'imaginer dans diverses situations, l'essayer dans le calme, la toucher en ayant l'impression d'être la première à l'effleurer... autant de petites choses apparemment anodines qui m'ont néanmoins semblé essentielles ce fameux après-midi.
J'en ai alors conclu que je ne serai jamais de celles qui peuvent se vanter d'avoir déniché des escarpins Kirkwood à moitié prix... et après tout, qu'importe ? Plus que la somme économisée, c'est avant tout le plaisir de tomber amoureuse d'un vêtement au sein d'une cimaise propre à le magnifier qui me comble par-dessus tout.
Outre le fait de m'avoir permis d'en apprendre un peu plus sur moi, mon expédition au Bon Marché m'a également offert la possibilité d'assister à la mise en place du cortège nuptial - signé du très azimuté plasticien Cyril Hatt - promouvant la nouvelle collection Blanche de Lanvin. Une virée shopping peut donc parfois réserver de jolies surprises, et s'avérer plus fructueuse que n'importe quelle séance passée sur un divan freudien...
Par Lise Huret, le 22 janvier 2010
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