Samedi
10h : La route qui nous emmène au nord de la région de Toronto traverse d'immenses étendues multicolores, offrant un paysage saisissant correspondant parfaitement à l'idée que je me suis toujours faite de l'automne canadien. Alors que les kilomètres défilent, que les fermes abandonnées en bois gris se succèdent et que les feuillus aux teintes flamboyantes s'étendent à perte de vue, j'entrevois ce qu'immensité, solitude et magnificence sauvage peuvent vraiment signifier.
11h : Nous quittons la route goudronnée pour une piste crayeuse projetant des milliers de petits cailloux sur la carrosserie rutilante de notre voiture de location (oups...). Autour de nous, quelques petites maisons de bois, une poignée de voitures, puis plus rien.
11h15 : Devant l'absence totale de panneaux de direction, nous nous demandons comment nous allons trouver notre destination Airbnb : située au coeur de la forêt, celle-ci n'est pas indiquée sur notre GPS. Mais qu'importe : nous avons le temps, Charles dort à l'arrière et les clefs du chalet nous attendent bien sagement dans leur "lockbox".
11h25 : Nous abandonnons la piste pour une autre plus étroite, puis pour un chemin gadouilleux. À la vue du visage de Julien, j'éclate de rire : l'idée de dormir dans un endroit totalement isolé n'a pas l'air de le réjouir. Me moquer gentiment de ses peurs m'évite de penser aux miennes… Je rationalise alors tout haut : à part nous faire attaquer par un ours serial killer, je vois mal ce qui pourrait nous arriver.
11h30 : La vue de la maison nous fait vite oublier tout cela. Avec ses volumes rectangulaires, ses vitres omniprésentes et ses bûches de bois promettant de belles flambées, ce "chalet d'architecte" nous rassure autant qu'il nous éblouit.
13h30 : Après avoir posé nos valises et déjeuné rapidement, nous décidons d'aller jeter un oeil au lac Huron, situé à une trentaine de minutes de chez nous. Sur les berges de celui-ci, un froid mordant nous saisit, le vent nous bâillonne, si bien que nous nous perdons bientôt - sans nous en rendre vraiment compte - dans la contemplation des rives où immenses maisons de villégiature, forêts denses et frêles embarcations composent, sous les rares mais intenses rayons de soleil fendant les nuages sombres, un véritable paysage de roman. Intrépide (et surtout inconscient), Charles s'approche d'un peu trop près de l'eau déchaînée. Nous filons retrouver la douce chaleur de la voiture. 16h : De retour au chalet, Julien et Charles entreprennent de faire un feu au sein du foyer prévu à cet effet sur la terrasse située en contrebas. Je les observe de la cuisine. À cet instant, en regardant l'homme que j'aime depuis plus de 10 ans, son mini clone lui apportant consciencieusement du petit bois et le cadre fou leur servant de décor, je ressens une profonde gratitude.
23h50 : La première nuit dans une maison inconnue n'est jamais aisée. À plus forte raison lorsque celle-ci grince au moindre souffle de vent et que la moitié de ses murs sont en verre. Peu avant minuit, réveillés par je ne sais quel écureuil galopant sur le toit, nous nous mettons avec Julien à épier le moindre bruit, de plus en plus persuadés que nous ne sommes pas seuls dans la maison. Quelques minutes plus tard, alors au paroxysme de notre angoisse irrationnelle, une petite voix nous ramène à la réalité : "Maman regarde ! Beaucoup d'étoiles dans le ciel !". Assis sur son petit lit situé juste à côté du nôtre, Charles pointe du doigt la fenêtre. D'un coup, la pression retombe. Je sors du lit, prends Charles dans mes bras afin d'aller regarder le ciel qui se révèle effectivement d'une beauté sans nom. Je n'ai jamais vu une nuit aussi pure, où Voie lactée et étoiles composent la plus saisissante des oeuvres pointillistes.
Dimanche
7h : Levée tôt, je prépare des pancakes pour le petit déjeuner et assiste au réveil de la nature frigorifiée par une nuit de gel. L'odeur qui s'échappe de la poêle me vaut rapidement l'arrivée d'un petit bonhomme aux cheveux en bataille - note à moi-même : emmener Charles chez le coiffeur - qui me lance d'un air gourmand : "Des crêpes ? Week-end ?". Je le saisis, tournoie avec lui quelques secondes et lui murmure à l'oreille : "Oh oui, un grannnnd week-end !". Et lui de me dire : "Moi je veux week-end toute ma vie"... 10h : Nous filons vers le parc aquatique de la station de ski située à 20 minutes du chalet. Une fois sur place, nous déchantons : le "parc aquatique" se révèle en fait être une piscine glaciale datant au mieux des années 80 et dont le seul toboggan débouche sur la partie extérieure de la piscine (là où le thermomètre affiche 7°C). Se moquant totalement du froid, Charles m'emmène tester le toboggan. La situation est assez surréaliste, mais qu'importe : voir Charles éclater d'un petit rire congelé à chaque descente de "slide" me met de bonne humeur pour la journée.
15h : Nous décidons d'aller nous promener sur l'un des sentiers forestiers passant près du chalet. Alors que le tapis de feuilles atténue le bruit de nos pas, nous entendons soudain plusieurs gros craquements accompagnés d'une sorte de feulement. Nous nous arrêtons. Charles exprime tout haut ce que nous pensons tout bas : "C'est quoi ce bruit ?". À ce moment, nous réalisons avec Julien que nous ne sommes pas en train de nous promener en Bourgogne, mais bien au Canada, et qui dit Canada dit animaux sauvages potentiellement dangereux… Nous faisons rapidement demi-tour. Dans ma tête défile le nom des animaux que je crois susceptibles de vivre en Ontario : puma, lynx, ours noir… Je dis à Julien de prendre Charles dans ses bras et nous accélérons le pas. Soudain, le même bruit. Je suis pétrifiée sur place. S'extrayant d'un bosquet avoisinant, la bête sauvage apparaît alors à quelques mètres de nous. No comment...
21h : Après un bon chocolat chaud, une séance de "freeze dance" endiablée et une longue histoire, Charles somnole dans mes bras. Je réalise alors que ce week-end m'a fait plus de bien qu'une longue semaine de vacances, tant il m'a offert ce dont j'avais vraiment envie et non ce que je pensais avoir envie. Piocher dans une bibliothèque qui n'est pas la mienne, avoir l'impression d'être à l'extérieur tout en étant à l'intérieur, pouvoir compter les étoiles depuis mon lit, apprécier de savourer "pour moi" ces sublimes couleurs qui ne rendent pas aussi bien sur les photos prises par mon smartphone ou encore humer l'odeur du feu de bois sur le pull de Julien sont autant de petites choses m'ayant littéralement comblée. Sans parler du fait d'être situé à plus de 20 minutes en voiture de la moindre épicerie, ce qui oblige à recentrer sa consommation sur l'essentiel...
Par Lise Huret, le 14 octobre 2016
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Nous aussi, nous allons louer une "cabin" dans les Appalaches pour le Thanksgiving américain mais contrairement à toi, je n'ai rien trouvé qui ressemble à un "chalet d'architecte". Le fou rire devant les coussins illustrés de têtes d'ours, vieux fauteuils à carreaux, rideaux de mémé. Enfin, la nature et l'isolement dans la montagne devraient compenser tout cela.
Et tu sais que ce n'est pas si facile de voir un dindon sauvage, il m'a fallu des années pour en voir aux US!