Portraits shoesesques de saison
Insolites, déjantés, voire totalement improbables, certains des souliers de l'automne/hiver 2016-2017 m'ont donné envie d'essayer d'imaginer les contours de celles à qui leurs créateurs les destinent...
Compensées multicolores Man Repeller
Elle possède en 4 exemplaires le best-seller de Garance Doré (et l'a offert à toutes ses nièces), suit avec attention sur Instagram l'évolution de l'IMC de Chiara Ferragni, délaisse les cuirs Iro au profit des perfectos Anine Bing, détermine ses destinations de voyage en fonction de celles de Sincerely Jules, a appris à se maquiller grâce aux tutos make up de Lisa Eldridge, rêve d'un destin à la Emily Weiss et a testé la recette de la tarte tatin aux endives de Mimi Thorisson. À 21 ans, cette jeune femme aisée vit en symbiose avec ses icônes 3.0, qui trouvent en elle une commentatrice assidue, une fan de premier ordre et surtout une consommatrice des plus fidèles. Autant dire qu'elle est la cible idéale pour les compensées arc-en-ciel de Léandra Médine (voir ici).
Bottines zébrées Isabel Marant
Elle maudit le jour où la fast fashion a rendu obsolètes les Bekett, appelle toutes les vendeuses du 1 rue Jacob par leur prénom, succombe régulièrement aux dernières créations de Jérôme Dreyfuss (qu'elle considère comme les beaux-enfants de sa créatrice fétiche), a failli régurgiter son petit déjeuner (café + mini paquet de fraises Tagada) en découvrant le mot H&M accolé à celui d'Isabel Marant et perd tout sens critique lorsqu'il s'agit de savoir si oui ou non le dernier must have shoesesque de celle qui assume humblement ses cheveux blancs est fait pour elle. Bref, cette jeune femme de 35 ans qui se jure d'arrêter de fumer entre deux bols d'açaï et qui dilapide son salaire de RP en fringues taille 34 ne devrait pas tarder à chausser ces bottines zébrées aux ambitions glam' rock.
Bottes en PVC peintes à la main Kenzo
Elle ne rate aucune soirée organisée par Nick V, écume les cours de danse hip-hop de la capitale en quête du mouvement ultime, a depuis longtemps décidé de délaisser les lissages au profit d'une volumineuse et sublime coupe afro, aime se lover dans les bergères de l'espace Seymour, distille au sein de ses tenues la fantaisie qui fait défaut à sa profession d'ingénieur informatique et se délecte avec gourmandise des dernières folies aperçues à la FIAC. Des oeuvres loufoques mais néanmoins attractives, qu'elle assimile à la dégaine arty/sophistiquée/fun de ces bottes Kenzo qui sont assurément faites pour elle.
Bottines en velours à ornements Prada
Les soirs d'inactivité mondaine, elle se régale de romans évoquant l'océan (de Vingt mille lieues sous les mers à Moby Dick en passant par Les Travailleurs de la mer), n'aime rien mieux que d'éblouir ses collègues avec ses chatoyantes pièces Dries Van Noten, se désespère que le velours - sa matière de prédilection - soit à nouveau à la mode (tant elle juge vulgaire le concept de tendance), travaille dans l'édition, regrette que le thé vert ne provoque pas l'euphorie du champagne, revendique son statut de femme nullipare et troquerait bien Karl Lagerfeld contre Paul Poiret. Microscopique, les cheveux flamboyants et les attaches fines, celle pour qui porter des chaussettes avec des souliers ouverts n'est ni une faute de goût, ni une lubie saisonnière est faite pour ces compensées pour matelot de cabaret.
Mocassins dorés Tod's
Elle essaie - sans succès - de zenifier son quotidien via l'appli Petit BamBou que son aîné - scolarisé à l'école Jeannine-Manuel - lui a téléchargé, jongle entre les paniers bio, les psychodrames avec le personnel de maison, les rendez-vous chez sa voyante et les thés/conseils de guerre au Shangri-La avec sa garde rapprochée (constituée de femmes de diplomates et de mères roulant en Porsche Cayenne), en a régulièrement assez de sa collection de ballerines Chanel et file chez son chirurgien esthétique à chaque incartade amoureuse de son mari. Maladroitement originaux, mais estampillés d'un logo BCBG, ces mocassins sont de toute évidence destinés à venir chausser cette Parisienne de 46 ans lors de ses après-midi shopping avenue Montaigne. PS : Les personnages et les situations de ce texte étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Par Lise Huret, le 31 octobre 2016
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