L'avant Chicago
Lorsque se rapproche le jour de faire mes valises, j'ai généralement tendance à délaisser les guides touristiques sans âme au profit de romans prenant place au sein de la ville (ou du pays) que je projette de visiter. Moins exhaustifs mais bien plus vivants, ceux-ci me permettent de me familiariser de manière quasi charnelle avec ma destination future. Quelques jours avant notre départ pour Chicago, j'ai ainsi dévoré "Le Diable dans la ville blanche" d'Erik Larson, un polar historique se déroulant avant et pendant l'exposition universelle de 1893. Celui-ci m'a permis de me plonger dans les entrailles architecturales de cette ville à la vitalité hors norme et de faire connaissance avec bon nombre des grands architectes ayant oeuvré à son épanouissement.
Le trajet Toronto/Chicago
Sous le blizzard, je distingue à peine les contours de la route de campagne que nous a fait prendre le GPS. Denses et humides, les flocons tourbillonnant autour de nous rendent le paysage de cette partie du Michigan totalement fantomatique. Face à cette manifestation féroce de la nature, au danger qui en découle et à la beauté qui en émane, mes sens oscillent entre terreur et fascination…
Entre parking enseveli sous la neige, boutique "junk food" jouxtant la réception, couloirs désertiques, employés à la mine peu avenante, piscine à l'eau presque froide, moquette bordeaux piquée de motifs géométriques, petit-déjeuner caoutchouteux et lampes de chevet diffusant une lumière blanche, l'hôtel qui nous accueille à mi-chemin de notre périple - nous avons préféré faire la route sur deux jours - pourrait sans mal servir de décor au prochain film de Bill Murray…
Le froid
Je n'avais jamais été confrontée à des températures aussi basses (-15°C). Sentir le froid statufier mes orteils, enserrer ma tête dans un étau glacé et faire couler des larmes sur mes joues durcies par le vent polaire est assurément une expérience en soi… Malheureusement, aussi fascinantes que furent ces conditions hostiles (nul doute que la vision de la Chicago River gelée restera longtemps gravée dans ma mémoire), elles n'en ont pas moins largement limité la durée de nos déplacements. Entre les chutes de neige rendant les trottoirs peu praticables, les crevasses fissurant doigts et talons et la peur de voir Charles se transformer en Mister Freeze (en dépit des innombrables couches sous lesquels nous avions pris soin de l'ensevelir), nous avons ainsi découvert Chicago à un rythme lent, entrecoupé d'innombrables pauses dans des endroits chauffés permettant de faire remonter - au moins un temps - notre température corporelle…
Les gratte-ciels
Notre première prise de contact avec le quartier "The Loop" au sein duquel nous avons choisi de résider se fit à la nuit tombée. Dans la pénombre de cette fin de journée hivernale, je fus subjuguée par les sommets illuminés de certains gratte-ciels. Aussi fuselés et délicats que les flèches d'une cathédrale (Tribune Tower, Chicago Temple Building), ces derniers surplombent des édifices plus modernes que gothiques (voir ici et là), créant ainsi une impression confuse, proche de l'émerveillement. Au fil de notre séjour, deux immeubles m'ont par ailleurs particulièrement touché :
Le Carbide & Carbon Building : Avec son granit poli couleur réglisse, sa silhouette sombrement luisante et son sommet doré à la feuille d'or, ce chef-d'oeuvre Art Déco m'a saisie tant par son raffinement que par sa force. Un géant délicat dont le rez-de-chaussée était muré (pour travaux ?), accentuant ainsi la dimension mystérieuse du bâtiment.
Le Rookery Building : Considéré comme le plus ancien gratte-ciel de Chicago, ce bâtiment à la façade de briques et de marbre rouge intrigue de par la multiplicité de son ADN : on y distingue ainsi pêle-mêle des influences vénitiennes, romanes ou encore byzantines. Mais pour découvrir le point d'orgue de cette création de Daniel Burnham et de John Wellborn Root, il faut en franchir les portes : le dernier étage de l'immeuble abrite en effet la plus majestueuse et sophistiquée des verrières…
L'atmosphère
De manière générale, j'ai eu tout au long de nos pérégrinations l'impression d'évoluer dans le film "Les Incorruptibles" de Brian De Palma. Je n'aurais ainsi pas été surprise de voir sortir Al Capone d'une porte-tambour aux dorures Art Nouveau d'un hôtel chic de downtown, ni d'apercevoir Eliot Ness dévaler l'escalier extérieur d'un club connu pour avoir fait fi de la prohibition dans les années 30…
Plus que pour toute autre ville nord-américaine, c'est l'âme qui en émane qui m'a le plus marqué. Une âme à la fois dense, sombre et sublime. Avec son métro aérien en acier rouillé, ses buildings à la majesté écrasante, sa large rivière glissant sous des ponts à l'esthétique changeante, ses horloges saillantes, ses ruelles mal éclairées, ses détails infiniment délicats (voir ici, ici et là), ses food trucks fumants, sa population aux écarts de richesse criants et ses enseignes rétro aux ampoules lumineuses, Chicago m'a profondément émue.
En bref
Si vous décidez de goûter aux fameuses "deep-dish pizza" locales, armez votre estomac de patience : elles nécessitent environ 40 minutes de cuisson…
Sachez que les smartphones n'apprécient guère le froid mordant de l'Illinois : une fois à l'extérieur, leur batterie se décharge en quelques minutes.
Les frites du restaurant "Le Cochon Volant" valent définitivement le détour.
Avec leur parking apparent aux allures de jouet géant et leur construction en pétales, les tours jumelles de Marina City provoquent un choc visuel 100% sixties.
Selon une tradition locale, le hot dog se déguste ici sans ketchup (et ce n'est pas plus mal).
Ne jamais hésiter à pénétrer dans les halls des hôtels, banques et autres gares : ils réservent souvent des trésors en matière d'architecture art déco/art nouveau/école de Chicago.
Alors en quête d'une paire de bottes fourrées pour Charles, j'ai déniché pour 12 dollars au rayon Homme de chez Old Navy un tee-shirt dont j'adore la texture et les couleurs. Le même tee-shirt m'aurait certainement coûté 8 fois plus chez Madewell…
Par Lise Huret, le 06 janvier 2018
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