Si parmi les péchés que je commets régulièrement figure en bonne place le fait d'engloutir de généreuses cuillères de beurre de cacahuète, mon préféré reste assurément celui consistant à m'installer en terrasse d'un café afin d'imaginer la vie des passants défilant devant moi...
Oui mais voilà, le dur hiver canadien m'ayant privé de terrasses ensoleillées, je n'ai eu d'autre choix ces derniers mois que de troquer mes inconnus de chair et de sang contre les personnages en 2D des séries street-style. Imaginer le menu de leur petit déjeuner, le contenu de leur dernier email, leur curriculum vitae, leurs récentes obsessions, leurs passions ou leurs aventures sentimentales à partir de détails physiques et vestimentaires m'a alors offert une plongée savoureuse dans un fashion cosmos totalement fantasmé. Voici quelques-uns de ces portraits…
Paris, 8h30. La tête encore embuée de Roederer, cette rédactrice de mode a bien du mal à s'extirper des draps de soie de son hôtel cossu de Saint-Germain-des-Prés (gracieusement payé par le journal l'ayant envoyé couvrir la fashion week parisienne). Face à son emploi du temps minuté de la journée (sur lequel elle a déjà pris du retard), elle décide de faire l'impasse sur son brushing au profit d'une queue de cheval passe-partout. Soudain, en fouillant dans sa trousse de toilette à la recherche d'un élastique, elle tombe sur une barrette licorne de taille lilliputienne appartenant à sa fille de 5 ans. L'image de son adorable Tess laissée à New York auprès de sa crispante belle-mère lui fendille le coeur. Elle décide alors de chausser ses bottines rouges en clin d'oeil à la couleur préférée de l'enfant, mais cela ne suffit pas à chasser ce vague à l'âme qui la hante. Hors de question dès lors de braver le regard potentiellement lubrique des passants en portant cet affolant top Rosie Assoulin prévu dans sa "dressing list" du jour ; elle lui préfère un rassurant pull oversize réchauffé d'un pardessus masculin aussi tendance que protecteur. Légèrement rassérénée par ce layering cosy, elle file alors vers le premier défilé de la journée, en oubliant de saluer le portier de l'hôtel...
Milan, 10h. Bousculée par une créature toute de Balenciaga vêtue, cette lumineuse brune ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire. Ah, que ces femmes sans cesse cannibalisées par les "it" et les "must" de saison l'amusent.... Elle voit dans leur absence de personnalité vestimentaire un désolant effet moutonnier ; les montants affolants dépensés pour adopter une allure clonée en dizaines d'exemplaires la laissent sans voix. Quelques minutes plus tard, alors qu'elle sirote un thé matcha fraîchement fouetté, elle repense à ce gâchis : tant de jeunes designers, de marques traditionnelles et de griffes peu connues mais regorgeant de merveilles pourraient tirer partie de cette manne financière ! Elle soupire : tant pis, le monde est ainsi fait ! Il est temps pour elle de cesser de rêvasser et d'aller essayer le costume qu'elle a fait réaliser par un tailleur chaudement recommandé par Mr. Modenese. Après avoir vérifié que la carrure de la veste est bien subtilement oversize, elle presse le pas et franchit avec délectation le porche de la boutique Antichi Vizi, son antiquaire milanais de prédilection.
New York, 6h30. Du haut de son appartement se situant au sein du très prisé One57, cette pimpante septuagénaire observe avec volupté le soleil illuminer graduellement Central Park. Une dizaine de minutes plus tard, alors qu'elle se dirige vers la piscine intérieure du building, elle se promet d'aller faire quelques offrandes au temple bouddhiste situé sur Riverside Drive : la récente disparition de son cher mari la laisse en effet à la tête d'une poignée de trusts à la santé florissante… En fendant l'eau tiède du bassin d'un crawl efficace, ses pensées papillonnent d'un sujet à l'autre, entre les véritables raisons ayant poussé George Clooney à distribuer des millions à ses amis en janvier dernier, les essayages chez Vera Wang de la robe de mariée de sa petite dernière, les rumeurs autour du départ de Vogue de sa partenaire de tennis de toujours (Anna Wintour) et le résultat irréel du dernier lifting de sa meilleure amie (ennemie ?)... Quelques heures plus tard, le cheveu blanc lustré, le blush posé et les lunettes noires chaussées, elle s'apprête à assister fièrement au défilé Calvin Klein. Et qu'importe si elle y croisera les nombreuses - et bien trop jeunes - maîtresses de son défunt conjoint : le contenu des dernières volontés de celui-ci lui fait oublier en clin d'oeil la peau ferme et les mollets secs de ces sublimes créatures au compte en banque aussi vide que leur assiette...
Bravo Lise,c’est excellent , je suis ravie d’apprendre que cette rubrique est amenée à être récurrente.
Ps. je donne 80 ans à la dame aux cheveux blancs.
Excellent article. Je suis heureuse de savoir que cette rubrique est amenée à être récurrente. Si je puis me permettre une suggestion peut-etre pourrions nous te proposer des photos ainsi ton esprit créatif en serait challengé :)
Encore merci.
J'adore, Lise! Il faut prévoir très vite le livre! Tu veux nous rendre accros, et bien il faut assumer maintenant! Nous allons te harceler!!!! Bonne journée à toi et tes lecteurs et lectrices!
Et j’oubliais de demander : qui est la dame au chapeau recto/verso du deuxième portrait ? En une image je suis tombée amoureuse de son allure. « Le bon style » ?