Chronique #161 : Portugal, bilan après six mois
L'une d'entre vous me demanda récemment si je comptais écrire un article sur notre nouvelle vie au Portugal. Sur le moment, je me suis dit que cette dernière était tellement simple que mon récit se révélerait sûrement décevant. Puis j'ai commencé à écrire, et me suis peu à peu laissée prendre au jeu de la rétrospective...
L'école
Voilà bientôt plus d'un mois que Charles a effectué sa rentrée scolaire. Je m'attendais à une reprise compliquée après 180 jours d'école buissonnière, mais ce ne fut pas le cas. La petite structure - établissement Montessori - que nous avons choisie est en effet parvenue à se faire accueillante en dépit des règles anti-covid drastiques (port du masque en classe, installation de vitres en plexiglas afin de séparer en deux les micro tables, distances de sécurité à respecter lors des récréations...). Et si je fus dans un premier temps un peu perturbée par ce mode d'enseignement qui accorde une grande liberté à l'enfant, je fus vite rassurée par les récits enthousiastes de Charles évoquant ses recherches sur la vie moyenâgeuse portugaise, sur le fonctionnement des marées et des fuseaux horaires (des sujets qui l'intéressaient depuis quelque temps et que son professeur l'a incité à approfondir).
L'autre avantage de cette école réside à mes yeux dans le concept de classe unique : les camarades de Charles ont entre 6 à 12 ans, ce qui permet une synergie vertueuse poussant les grands à prendre soin des plus petits et les plus petits à chercher à comprendre ce que font les grands. Sans parler de l'heure quotidienne de portugais, qui emmène Charles doucement mais sûrement vers la maîtrise de la langue de notre pays d'accueil. Autant de dynamiques positives qui génèrent chaque matin un sourire gourmand et joyeux sur le visage de mon fils, là où à son âge j'inventais mille excuses pour ne pas mettre un orteil à l'école…
Les parents d'élèves
Je ne sais pas ce que les mamans pensent de celle qu'elles ont vue sortir un matin de sa voiture en combinaison de surf pour faire un dernier baiser à son fils, aller chercher ce dernier en fin de journée les jambes encore partiellement recouvertes de sable ou encore renverser une bouteille d'eau sur la tête de sa progéniture qui la suppliait de lui offrir un peu de fraîcheur après sa partie de foot… Je ne le sais pas, car pour l'instant je n'ai pas vraiment tissé de liens avec les parents de l'école de Charles. Les sons qui émanent des discussions devant la grille de l'école me font dire que les nationalités y sont diverses et variées (françaises, allemandes, norvégiennes, chinoises...), mais à part ça, cela reste assez flou. Enfin, c'était le cas jusqu'à ce qu'une adorable maman de 4 enfants m'aborde gentiment vendredi dernier. Française, ex-londonienne, fraîchement installée au Portugal (18 mois), cette brune chaleureuse me donna soudainement envie d'essayer de m'intégrer à cette communauté. À suivre...
La maison
Nos meubles jouxtant désormais ceux présents initialement dans cet ex-Airbnb, il n'est guère aisé de créer une harmonie entre ces deux styles. Je sais qu'il faudrait davantage jouer avec les éclairages afin de rendre l'espace plus douillet (en commandant câbles et ampoules afin de pallier le manque criant de plafonniers), acquérir un immense tapis (je rêve de ceux de chez Saudade) pour contrebalancer la transparence un peu froide de notre table à manger en verre et remplacer la multitude de coussins gris de l'immense banquette (réalisée sur mesure par les propriétaires afin d'habiller le mur convexe faisant face à la cheminée) par des modèles ultra colorés, mais je ne parviens pas pour l'instant à sauter le pas. Il faut dire que la beauté des couchers de soleil (qui nous font chaque soir cesser temporairement toute activité pour les contempler), l'immensité de l'océan s'étendant devant nous et les oscillations de la végétation sous le souffle violent du vent comblent tant mes papilles esthétiques que j'ai tendance à oublier les défauts de mon intérieur...
Les Portugais
Si le surf booste mes endorphines comme aucun autre sport, il m'offre également la possibilité d'entrer en contact avec la population portugaise. Entre le propriétaire de l'école de surf qui a grandi sur la plage où nous nous prenons nos cours, l'éditeur lisboète - avec qui le courant est tout de suite passé - venu s'établir plus près de l'océan, le géant roux originaire de Porto passant tous ses week-ends dans les vagues de Praia Grande, l'ado en surpoids venant du village voisin qui s'est totalement métamorphosée depuis le début de ses leçons de surf (visage plus ouvert, perte de poids et timidité envolée), le père intrépide essayant constamment de convaincre ses enfants de le suivre et le moniteur ex-maître-nageur dont la bienveillance a vaincu toutes les appréhensions de Charles, nous formons un groupe insolite éprouvant un réel plaisir à se retrouver. Sourires, échanges en anglais, coups d'oeil complices entre deux houles et plaisanteries liées aux sessions passées font ainsi le sel de mes sessions de surf et me donnent plus que jamais envie de m'améliorer en portugais.
Le surf
Les difficultés du début ont cédé la place à de nouveaux défis : l'enjeu n'est désormais plus de réussir à se lever, de "paddler" correctement et de parvenir à tourner à droite ou à gauche, mais plutôt de repérer la vague idéale, d'oser prendre celle qui s'annonce puissante, de ne pas avoir peur d'être au large, de relever suffisamment le buste pour ne pas plonger en avant, mais aussi de retrouver régulièrement mes marques sur des planches qui rétrécissent et s'affinent régulièrement.
Force est d'ailleurs de constater que cette aventure au long cours qu'est mon apprentissage du surf me procure toujours autant de plaisir. Plaisir de voir mon corps intégrer des réflexes sans que ces derniers n'aient eu besoin d'être décortiqués au préalable par mon cerveau, bonheur fugace - mais intense - de réussir à glisser parfaitement sur une vague, satisfaction de sentir mes muscles plus durs que jamais, joie enfantine de voir les flots onduler majestueusement autour de moi…
La météo
Je suis plutôt une fille d'automne, voire d'hiver : les feuilles mordorées, les marrons d'Inde éparpillés sur le sol, l'air frais presque froid, puis la neige et les surfaces gelées m'ont toujours ravie. C'est donc avec un certain étonnement que je me surprends à aimer viscéralement le micro climat agissant entre les plages de Guincho et Praia Grande. Entre la grande stabilité des températures (qui oscillent entre 15 degrés en janvier et 24 degrés en août), le vent descendant en rugissant du mont voisin, la pluie offrant au jardin une intense couleur verte et le soleil à la chaleur réconfortante, j'aime tout.
L'océan
J'ai beau être au Portugal depuis plus de 6 mois et avoir passé un nombre incalculable d'heures dans l'eau, l'océan n'a de cesse de mettre à l'épreuve mon orgueil et mon insouciance. J'en veux pour preuve l'après-midi où, ne pouvant pas aller surfer (Charles étant enrhumé, nous avions dû le garder à la maison), je décidai d'aller me baigner à la plage de Guincho. Étant alors d'humeur mélancolique, je suis persuadée que le contact de l'océan me fera du bien. Nous arrivons sur la plage vers 14h30. Les vagues sont fortes et rapprochées, mais cela ne m'inquiète pas outre mesure. Julien m'impose néanmoins de me baigner devant le poste de sauvetage, "au cas où". Je me moque de son tempérament inquiet et protecteur, mais obtempère.
À peine les pieds dans l'eau, je sens que celle-ci ne se comporter pas comme à son habitude : le ressac est d'une intensité incroyable. Sur ma droite, deux jeunes femmes s'avancent dans les flots jusqu'aux genoux, se font magistralement éclabousser et retournent rapidement vers le sable. J'avance. Une vague plus haute que les autres fonce sur moi ; je décide alors de plonger. Me voilà derrière la vague, je n'ai plus pied. Là où d'ordinaire crêtes et houles m'offrent un terrain de jeu exigeant mais domptable, ce n'est que chaos et mini déferlantes. L'eau me recouvre, je bois la tasse, remonte à la surface. Il faut que j'attrape la vague suivante afin de revenir sur le rivage. J'y parviens, mais au lieu de me ramener, elle me brasse et m'emporte vers le large. Je remonte, aspire l'air goulûment et réalise que je ne vais pas pouvoir revenir au bord : trop de courant, trop de vagues, trop de tout. Pour la première fois de ma vie, j'ai réellement peur de mourir. Une peur calme et intense. Je vais me noyer à quelques mètres de la plage. Une vague m'écrase, je rebois la tasse, sous l'eau je perds la notion du temps, je finis par émerger et dans un ultime réflexe, je lève les bras en croix au dessus de ma tête en espérant que l'on vienne me sauver. Quelques secondes plus tard, je sens que l'on m'empoigne : le sauveteur qui m'observait depuis un moment avait immédiatement réagi à mon signal.
Une fois sur la plage, mon souffle repris, je remercie le sauveteur, rassure Julien et fais un grand sourire à Charles qui était en train de construire un château de sable tout près de là. Sur le chemin du retour, je suis frigorifiée (alors que les garçons avancent torse nu), mais je tente néanmoins de faire bonne figure. La pression se relâchera d'un coup quelques heures plus tard une fois au téléphone avec ma mère, sous la forme de longs sanglots incontrôlables. Bref, l'océan et moi vivons une relation tumultueuse qui je l'espère finira un jour par s'apaiser…
La vie au Portugal, c'est aussi...
Apprendre à capturer - sans les blesser - les petits lézards s'invitant régulièrement dans notre maison.
Veiller à ne pas laisser une miette par terre, sous peine de voir débarquer dans les minutes qui suivent une colonie de micro fourmis.
Découvrir qu'une maladie étrange attaque les palmiers portugais, au point de devoir faire abattre certains de ces derniers (dont celui qui trônait jusqu'ici devant notre porte d'entrée).
Aller au retour de la plage chercher en combinaison de surf quelques fruits sur le marché.
Avoir toujours du sable sur le cuir chevelu.
Cueillir des figues sur les figuiers sauvages.
Regarder des maisons incroyables se bâtir entre Guincho et Colares.
Essayer de pas avoir le coeur brisé en croisant un énième chien abandonné.
Découvrir et aimer la saveur pétillante du vinho verde.
Réaliser qu'apprécier le chorizo français ne garantit pas que l'on appréciera celui du Portugal.
Entendre des enfants de 7 ans parler couramment portugais, anglais et français.
Par Lise Huret, le 12 octobre 2020
Suivez-nous sur , et
🤍🤍