Chronique #170 : Visibilité, transparence et interactions
Étant à la tête d'un site de mode (et donc d'une vitrine potentielle pour les innombrables vêtements produits chaque saison), j'ai rapidement été sollicitée par les marques. Pour autant, souhaitant rester la plus indépendante possible, j'ai toujours décliné les demandes de partenariats, articles sponsorisés, offres de cadeaux… Un positionnement qui est peu à peu devenu ma marque de fabrique, une part de mon identité professionnelle. Je chérissais cette liberté qui me permettait d'être intraitable dans mes critiques et de n'avoir de comptes à rendre à personne...
En septembre dernier, alors en quête du maillot de bain idéal, je fis la découverte de la marque Chlore. Ses produits à la fois ergonomiques et élégants me plurent tant je décidai de lui consacrer un article. Quelques jours après sa parution, je reçus un très gentil email de sa créatrice me remerciant et me proposant de m'offrir le maillot de bain de mon choix. Alors que j'aurais d'ordinaire refusé, cette fois-ci j'hésitais : le modèle Max correspondait à tous mes critères en matière de "swimwear" et répondait à un vrai besoin de ma part (mon maillot une-pièce était très usé). J'estimai par ailleurs que la créativité pragmatique dont faisait preuve cette marque méritait davantage de visibilité. Après un long débat intérieur, je finis donc par accepter. Le maillot de bain en question fut pour moi une révélation : il conjuguait dégaine sportive et allure élégante (un mix que j'avais cherché en vain plusieurs mois durant) et sa qualité s'avérait bien supérieure à mes attentes. Heureuse d'avoir trouvé la perle rare, je réalisai immédiatement une story Instagram pour vous partager mon enthousiasme. Deux jours plus tard, j'appris que le corner parisien de la marque connaissait une fréquentation bien plus importante que d'ordinaire. En portant ce maillot, j'avais donc à la fois rendu service à la créatrice et permis à d'autres femmes de mettre la main sur un modèle de qualité auquel elles n'auraient pas forcément pensé. J'étais bluffée.
Très vite, cette expérience - que je jugeais à la fois ludique, chaleureuse et enrichissante - me perturba. Était-elle l'exception qui confirme la règle où étais-je en train de passer à côté de quelque chose d'excitant ? Je sentais que ma position un brin rigide me privait de belles expériences et m'empêchait de vous faire découvrir un panel de petits créateurs ne possédant pas la force de frappe des marques du luxe ou de la fast fashion. Je réalisais en effet que si recevoir gratuitement des vêtements de ces derniers ne me semblait pas pertinent, contribuer à booster - de par la visibilité de mon site et de mon compte Instagram - le travail de créateurs dont j'apprécie le concept, la démarche et l'éthique pouvait à l'inverse s'avérer intéressant, constructif et enrichissant.
Pour autant, je continuais à refuser toutes les propositions. Je ne voulais pas passer du côté obscur de la Force. Je ne voulais pas me renier. Je finis par en discuter avec Julien : il fut encore plus intransigeant que moi. "Pas de cadeaux : si tu veux une fringue, tu te l'offres ; c'est la démarche la plus saine". Mais pour une fois, je n'étais pas complètement d'accord avec lui.
Les choses étaient en effet plus complexes que cela. L'idée de faire découvrir un créateur en s'appropriant l'un de ses modèles ne rentrait pas selon moi dans le cadre d'un acte de consommation ordinaire. Et puis, si je devais m'offrir les pièces de tous les créateurs que j'ai envie de tester pour vous/mettre en avant, cela poserait rapidement un problème de trésorerie...
En me renseignant sur le mode de fonctionnement des influenceuses, je constatai que le flou règne en matière de cadeaux/rémunération/visibilité/transparence. Or, c'est précisément de ce flou dont je ne voulais absolument pas. Si je voulais pouvoir m'essayer à ce nouvel exercice, il fallait que tout soit limpide.
Je tentai alors de définir une charte qui encadrerait mes relations avec les créateurs :
Je collaborerais uniquement avec des griffes à taille humaine et dont les pièces sont parfaitement traçables.
Je n'accepterais aucun produit que je ne choisis pas moi-même.
Je ne porterais jamais un vêtement ou un accessoire que je n'aime pas viscéralement.
Je n'accepterais pas une collaboration uniquement pour faire plaisir au créateur (le plus gros challenge pour moi).
Je ne recevrais aucune rémunération, mais ne serais pas contrainte d'arborer ledit produit un nombre de fois prédéfini.
Je préciserais toujours pourquoi j'ai choisi ledit produit.
Je n'hésiterais pas à renvoyer le produit si au final celui-ci ne me plaisait pas.
Si cela me semblait être une bonne base pour débuter, Julien n'était toujours pas convaincu. Je lui fis alors part d'une de mes récentes constatations : "Lorsque j'apparais sur Instagram en photo ou en vidéo, nombreuses sont généralement celles qui me demandent la provenance de mes vêtements. Or, la plupart du temps, ces derniers sont soit vintages, soit issus d'une vieille collection fast fashion, soit piqués dans ton placard. Autrement dit, elles ne peuvent pas se les procurer. Si je parvenais à dénicher chez des petites marques des pièces correspondant totalement à mon ADN, je pourrais mettre en lumière des créateurs manquant de visibilité, éviter de frustrer ma communauté et mettre en valeur des modèles économiques plus humains".
Voilà où en est aujourd'hui ma réflexion sur le sujet. À ce stade, je ne peux aller plus loin sans vous demander votre avis. Car si j'ai envie de faire évoluer les choses sur TDM, c'est avant tout pour vous.
Alors dites-moi !
EDIT du 8 avril (20h45) : Merci à toutes et à tous, vos commentaires m'ont aidé à y voir plus clair : je vais rester sur la même ligne éditoriale. Je continuerai de n'accepter aucun cadeau de la part des marques, c'est la décision qui me correspond le mieux. J'ai expliqué cette dernière plus en détail sur cette vidéo : https://www.instagram.com/p/CNdCsugga0z/
Par Lise Huret, le 09 avril 2021
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Oui, votre démarche est réfléchie et clairement présentée. Le fait de donner votre avis n'oblige personne à le suivre. En fait, je ne vois pas le problème...C'est plutôt à chacun de se questionner sur son rapport aux réseaux sociaux et son degré d'influençabilité, non? J'ai hâte de découvrir les marques que vous présenterez. Bonne journée!