Bal du Met 2024 : ce qu'il faut retenir
Évoquant simultanément la nature, une héroïne Disney, le renouveau universel ainsi que les trésors du passé, la thématique de la nouvelle exposition du MET ("Sleeping Beauties : Reawakening Fashion") offrit aux créateurs un large champ d'interprétation. Passage en revue de ce que l'on pourra retenir de cette grande messe fashion organisée chaque année par Anna Wintour…
Si l'évocation de l'expression "Sleeping Beauties" convoque immédiatement en nous l'image d'une Belle au bois dormant au teint frais, il semble que les invitées au Bal du Met aient préféré opter pour une interprétation moins idyllique du thème de la soirée. C'est en effet sur une tonalité gothique - voire vampirique - que certaines ont choisi de représenter l'héroïne de Charles Perrault (Emma Chamberlain en Jean Paul Gaultier, Vera Wang en Vera Wang Haute Couture, Jill Kargman en Gucci, Bee Shaffer).Alors que de nombreux bustes moulés furent aperçus sur les marches du musée new-yorkais, force est de constater que leur qualité esthétique fut fluctuante : si sous la direction de JW Anderson (Taylor Russel en Loewe) et d'Aurora James, les traitements des matières permirent d'adoucir visuellement la rigidité des moulages (accentuant ainsi la sensualité de l'ensemble), l'armure façon personnage antique pour série B de Paloma Elsesser déçut quant à elle par son manque de subtilité.
Mettant en exergue les liens entre nature et mode, la thématique de l'exposition fut sans surprise prétexte à l'éclosion de maintes toilettes fleuries. L'occasion pour nous de voir le concept de la robe à fleurs décliné sous toutes ses coutures…
Parmi les détails les plus marquants, on retiendra l'esprit "cadeau fait main de fête des Mères" du look Marni de Nicki Minaj, le contraste délicat entre la légèreté du tulle et la rigidité cristalline des pétales de la toilette Miu Miu de Sydney Sweeney, les fleurs peintes sur le corps de Rebecca Hall rappelant celles de sa toilette Danielle Frankel, ou encore l'effet vitraux Art déco de la robe de Jenny Chandler.
On notera également que le collant chair fait partie des matières que l'on aimerait voir boycottées à jamais, que la version lumineuse de la robe terrarium d'Undercover découverte lors du défilé printemps/été de la marque avait plus d'impact que celle portée par Amelia Gray Hamlin, qu'en dépit de l'opulence de sa robe Tamara Ralph Jessica Biel est tout de même parvenue à paraître infiniment fraîche (merci au sel d'Epsom ?), que les citations au documentaire "Grey Gardens" ne sont pas toujours heureuses, mais aussi que l'envie de faire le buzz prend malheureusement parfois le pas sur la notion d'élégance.
Si l'on peut a priori s'étonner de la présence au sein d'une tenue de bal d'un élément douillet tel qu'une petite laine, force est cependant de constater que celle-ci permet de conférer un charme inattendu à la tenue : le micro-cardigan de Kim Kardashian adoucit ainsi le glamour extrême de son fourreau argenté, tandis que le maxi lainage de Tahliah Debrett Barnett conféra à son look une candeur moelleuse (à défaut de sauver celui-ci).
On espère que la poitrine d'Aya Nakamura aura survécu à l'oppression textile subie lors de cette soirée.
Olivier Rousteing semble avoir confondu couture et sculpture en créant des robes ne pouvant être mises en valeur que par l'immobilité de leurs occupantes (voir ici et là).
Miuccia Prada fila la métaphore de la fleur en imaginant une sur-robe aux allures de protection anti-abeilles.
La cape Dolce&Gabbana de Jessica Serfaty n'était pas sans rappeler la parure d'un char de carnaval post-parade.
À mi-chemin entre le personnage d'Elsa dans Frozen et une statue de glace pour mariage américain, les tenues d'Elle Fanning (Balmain) et d'Ariana Grande (Loewe) avaient l'air de sortir tout droit d'un conte de fées frigorifique. En imaginant 4 toilettes couture entièrement brodées de strass et en les faisant porter par des égéries particulièrement photogéniques (dont elle-même), Giovanna Engelbert - DA de chez Swarovski - offrit une visibilité fashion inédite à la maison autrichienne.
Le "syndrome Scarlett O'Hara" (i.e. transformer ses rideaux en robe d'apparat) a semble-t-il encore fait une victime (voir ici).
Doja Cat livra une interprétation quasi religieuse de l'idée de renaissance en optant pour une tenue qui n'était pas sans rappeler celles des catéchumènes évangélistes post-baptême par immersion totale.
Si Sofia Coppola parvient d'ordinaire à dénicher chez Chanel des tenues relativement seyantes, ce ne fut malheureusement pas le cas cette fois-ci.
La spectaculaire robe Harris Reed de Demi Moore ne parvint pas à détourner l'attention suscitée par l'évolution du visage de l'actrice.
On espère qu'à défaut d'être réellement élégantes, les traînes disproportionnées aperçues sur les marches du Met possèdent des fonctions cachées telles que la capacité de se transformer en couverture chauffante une fois passés les 12 coups de minuit, de servir de cape d'invisibilité à ses amis n'ayant pas été invités par Anna Wintour ou encore de se muer en ailes éphémères permettant de gravir de manière fluide la volée de marches du musée (Shakira, Cardi B, Taraji P. Henson, Zendaya).
En réinterprétant deux robes issues de ses archives, la griffe Balenciaga rendit un bel hommage à ses propres "beautés endormies". Cela étant dit, si le modèle argenté porté par Michelle Yeoh n'est pas parvenu à faire oublier sa ressemblance avec une feuille de papier d'aluminium post-déballage de sandwich, celui choisi par Nicole Kidman (une robe de 1951 inspirée du flamenco) brilla par son audace maîtrisée et sa folle intemporalité.
Hamish Bowles profita de la soirée du Met pour faire discrètement la promotion de son dernier livre : "41 manières de faire sécher élégamment ses torchons de cuisine".
Qui aurait cru que Godefroy de Montmirail et Cara Delevingne partageaient la même passion pour la cagoule en cotte de mailles ?
Protection anti-abeilles, anti-moustiques, anti-postillons, anti-Français désirant faire 4 bises... les créateurs rivalisèrent d'inventivité pour mettre leurs muses à l'abri des importuns (Lizzo en Weinsanto, Alex Newell en Christian Siriano, Lana Del Rey en Alexander McQueen, Mindy Kaling en Gaurav Gupta).
Le look de Sarah Pidgeon nous rappelle qu'il faut souvent bien peu de chose pour qu'un duo de couleurs fonctionne. Ici, le simple fait de remplacer les escarpins noirs par des escarpins blancs aurait en effet permis d'illuminer le tandem kaki/rouge orangé plutôt que de l'affadir.
Après 31 ans de thérapie l'incitant à cesser de chercher à être un autre, Michael Shannon a decidé de faire son coming out et d'assumer son addiction à la junk food (pochette Balenciaga).
Vittoria Ceretti parvint à faire rimer épure, beauté et sensualité avec sa virginale création Alaïa.
Ne pas réussir à choisir entre décolleté comprimant, effet déchiqueté, paillettes et laçage frontal peut vite s'avérer dommageable. La ressemblance entre les longs gants de Linda Evangelista et les filets de maintien ou de protection à usage médical (voir ici et là) empêche malheureusement de se concentrer sur le reste de sa tenue…
Nul doute qu'à la vue de la tenue Chanel de Michelle Williams, la fée Clochette inséra immédiatement celle-ci au sein de son dossier Pinterest "Idée de robes de mariée".
Il ne manquait que quelques bagues grenouilles JW Anderson éparpillées sur la traîne de Demi Lovato pour finaliser l'effet nénuphar de la robe de la chanteuse…
Heureusement que Marc Jacobs n'arborait pas la même manucure lorsqu'il se fâcha en 2008 avec Suzy Menkes : on préfère en effet le tirage de langue au coup de griffe…
Zendaya est une jeune femme magnifique, une excellente actrice, une danseuse hors pair et une mannequin née. Elle peut tout porter et tout sublimer. À tel point qu'elle est devenue la muse préférée des créateurs, qui n'hésitent pas à lui faire revêtir des tenues alambiquées qui ne doivent leur éclat qu'à la gestuelle, la silhouette et la beauté unique de la comédienne (voir ici et là).
La présence de Sienna Miller toute de Chloé vêtue risque d'accélérer la montée en puissance de la tendance boho.
Les concepts les plus espiègles ne font malheureusement pas toujours les meilleures robes… (Gigi Hadid en Thom Browne)
En voulant absolument jouer avec les références historiques liées aux tenues exposées au Met, Chloé Sevigny perdit un peu de sa fraîcheur.
On a beau savoir que Carrie Bradshaw n'est pas SJP et que SJP n'est pas Carrie Bradshaw, difficile de ne pas se délecter des moments où l'actrice se confond pour quelques heures avec son mythique personnage.
Certaines recettes stylistiques ont beau être vouées à l'échec, cela ne les empêche apparemment pas d'être utilisées. Que dire en effet du mix col fermé/accumulation de noeuds niais/chevelure laquée/traînées de lambeaux de papier Lotus de la tenue de Sarah Paulson ?
Avec sa robe faussement sage, son sourire généreux et sa plastique très "Alerte à Malibu", Pamela Anderson s'avéra étrangement touchante.
La redondance des tenues entièrement translucides d'Emily Ratajkowski finit par assourdir considérablement leur effet.
Si l'idée de fusionner godets et micro crinolines paniers n'était pas mauvaise sur le papier, la réalisation de celle-ci manqua malheureusement de subtilité (Bruna Marquezine en Tory Burch).
Il arrive que des éléments censés apporter de la fraîcheur à une silhouette fassent au final exactement l'inverse... (Uma Thurman)
Pour les beaux yeux de sa muse (Isabelle Huppert), Demna Gvasalia revisita une robe de mariée imaginée en 1930 par Marthe Bertrand (arrière-grand-mère de l'actrice et fondatrice de la maison Callot Soeurs) (voir ici).
Site officiel de l'évènement : https://www.metmuseum.org/sleeping-beauties-reawakening-fashion
Par Lise Huret, le 09 mai 2024
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