Si la nouvelle de sa possible faillite ébranla récemment le Tout-New York, il ne faut pas oublier qu'outre une gestionnaire fantasque, cette femme est avant tout l'un des photographes les plus marquants de sa génération. On lui doit en effet quelques-unes des images les plus marquantes de ces dernières décennies...
Annie Leibovitz naquit dans le Connecticut en 1949. Commence alors pour cette fille de militaire une enfance marquée par de nombreux déménagements, dus aux fréquents changements d'affectation de son père. Sa mère, quant à elle, enseigne la danse, tout en s'occupant de ses 6 enfants. C'est lorsque la famille séjournera aux Philippines (durant la guerre du Vietnam) qu'Annie prendra ses premières photos.
Plus tard, au lycée, elle s'intéresse à la peinture et à la musique, tout en continuant à pratiquer en parallèle la photographie. Elle effectuera ensuite ses études à l'Institut d'Art de San Francisco.
À 20 ans, Anna Lou - c'est ainsi que son entourage l'appelle affectueusement - décide d'aller passer quelques mois dans un Kibboutz. De retour à New York, un ami montre quelques-unes des photos d'Annie à un tout jeune magazine, "Rolling Stone", qui décide alors d'embaucher la jeune femme. Très vite, son oeil est apprécié et sa manière de collaborer avec son sujet - afin d'en obtenir le meilleur - donne des résultats inespérés.
En trois ans, elle construit son style et apporte au magazine une signature inimitable, à tel point qu'elle se voit bientôt proposer le poste de photographe en chef, qu'elle s'empresse d'accepter. La renommée d'Annie Leibovitz se construit alors peu à peu, à coups de portraits de stars du rock qui, sous son objectif, se livrent comme jamais. On lui doit ainsi la sublime image ayant saisi enlacé le couple John Lennon/Yoko Ono, un matin de décembre 1980, quelques heures avant la disparition du chanteur...
En 83, elle quitte "Rolling Stone" (chez qui elle aura shooté plus de 140 couvertures) pour Vanity Fair. Commence alors le règne d'une photographe aux rêves sans partage, ne tolérant aucune économie - ni de temps, ni de moyens - lorsqu'il s'agit de réaliser une image. Oui mais voilà, il émane de ses photographies une telle perfection que tous se plient sans condition à ses désirs...
Plus Annie Leibovitz shoote, plus les clichés mythiques s'accumulent. Il faut dire que de Demi Moore nue et enceinte (n'hésitant pas à patienter de longues heures pour que Leibovitz obtienne le cliché parfait) à Kate Moss (se dénudant dans l'appartement de Johnny Depp afin d'immortaliser leur passion), en passant par Whoopi Goldberg (s'immergeant dans une baignoire de lait), les stars se plient sans ciller aux désirs insolites de la photographe.
Et le résultat est là : ne lésinant ni sur les décors fastueux, ni sur les costumes somptueux (et encore moins sur les effets spéciaux), l'artiste dresse au fil des années un véritable panthéon des famous people de son époque. De Sylvester Stallone à Mikhaïl Gorbatchev en passant par Nicole Kidman et Brad Pitt, jusqu'à la reine d'Angleterre, tous ont voulu voir leurs traits immortalisés par l'oeil perfectionniste d'Annie Leibovitz.
Elle devient alors La photographe que tout le monde s'arrache : outre son travail avec les célébrités, elle shoote également pour Vogue, tandis que Louis Vuitton lui donne carte blanche pour composer des campagnes redorant l'image de la maison. Très vite, les contrats s'accumulent, offrant à Annie Leibovitz une aisance financière importante et lui donnant l'illusion de pouvoir dépenser sans fin.
Il faut dire que l'artiste n'a jamais vraiment eu une relation d'adulte avec l'argent. Généreuse à l'excès, elle offre - dès 1970 - à ses admirateurs des appareils photo Minox (les plus chers du marché) et ne cessera par la suite de dépenser sans compter. Entre propriétés à New York et Paris et staff personnel très étoffé (gouvernante, chef cuisinier, professeurs particuliers...), l'argent brûle les doigts de celle dont Anna Wintour dira : "Les questions budgétaires ne l'effleurent même pas, mais au final, elle vous rend une image que personne d'autre n'arrive à réaliser".
Cependant, la machine commence à se gripper lorsque les aléas de la vie poussent Annie Leibovitz à souscrire des emprunts pour subvenir à ses besoins dispendieux. Elle va même jusqu'à hypothéquer ses oeuvres pour une valeur de 24 millions de dollars auprès d'Art Capital Group. Entre frais de rénovation de ses propriétés et frais médicaux pour soigner sa compagne Susan Sontag (atteinte d'un cancer), la situation financière d'Annie est bientôt marquée par un endettement abyssal. Et lorsqu'en 2004, Susan Sontag décède, suivie de près par les parents d'Annie, cette dernière perd pied, multiplie les séances photo aux budgets pharaoniques et cesse de payer ses impôts...
Parallèlement, elle monte en 2005 une exposition/rétrospective - "A Photographer's Life, 1990-2005 - qui mêle pour la première fois clichés professionnels et personnels, dévoilant ainsi des images de sa grossesse, de sa famille et de ses enfants.
Et si elle a été nommée en mai 2009 Docteur en Beaux Arts par le FIT et que Vogue, Vanity Fair, Disney ou Vuitton lui confient encore les yeux fermés la clef de leurs studios, cela n'a pas pour autant éloigné les créanciers qui exigent de récupérer leur dû, et ce même si cela signifie la ruine de la photographe.
Si à ce jour un accord a été passé entre les deux parties, repoussant l'échéance du remboursement et garantissant à Annie Leibovitz la propriété intellectuelle de ses oeuvres, celle qui a hissé Schwarzenegger tout en haut d'une montagne, immergé Kate Winslet dans un aquarium géant et vidé Versailles pour les beaux yeux de Kirsten Dunst est loin d'avoir fini de payer la facture de ses rêves trop hauts en couleurs...
Par Lise Huret, le 15 décembre 2009
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